Frédéric Roux

Contes de la littérature ordinaire

Préambule

Mon éditeur est sympa !

Ils sont nos ennemis naturels.

Ernest Hemingway

Qu’est-ce que j’ai donc fait au bon Dieu pour finir en prophète éditorial (La voûte plantaire de Loana va-t-elle résister à la pression médiatique ? Dans un pays où les dealers et les brocs ont du cash plein les fouilles, si le Président et les ministres en ont aussi, cela nuit-il, et à qui ?) en quatrième de couv’ d’un quotidien communiste à la ramasse ? Douze livres, dix éditeurs… Douze métiers, treize misères.
   Je n’ai jamais su ce qui m’épatait davantage de la part des éditeurs : l’obstination aveugle à refuser ce que je leur soumets ou l’acharnement mis à publier des ouvrages qui, selon leurs propres dires, et une fois les comptes faits, les laissent exsangues.
    J’ai tout d’abord fait leur connaissance au travers de la correspondance qu’ils m’adressaient : trois kilogrammes de circulaires de refus, avant de voir publier mon premier livre. Curieusement, lorsqu’ils refuseront le second, ce sera pour regretter de ne pas avoir publié le premier. Et ainsi de suite… Un bon livre pour un éditeur étant toujours celui qu’il aurait publié volontiers si vous ne l’aviez pas publié chez un confrère ; le suivant, qu’ils ne publieront pas, devant être édité, de préférence, chez un collègue.
    Lorsque l’on rencontre l’intéressé, deux cas de figure se présentent : soit il vous paraît sympathique, soit non. La dernière occurrence est à privilégier puisque, n’ayant ni les mêmes exigences ni les mêmes intérêts, un auteur ne peut jamais être l’ami de son éditeur (l’éditeur le sait bien qui n’a de liens qu’avec la phynance). Le fait qu’il soit antipathique (ne pas s’inquiéter outre mesure, ils le sont à peu près tous) facilite donc grandement la suite des opérations.
    Les premiers rapports que l’on entretient avec son éditeur rappellent l’état de grâce qui précède la première copulation commise avec une hystérique. Ainsi, l’éditeur vous confiera très vite que ses auteurs sont tous des minables, et vous-même un phénix. Bien évidemment, il procède de la même façon avec le vaniteux qui poireaute dans l’antichambre. L’hystérique est souvent nymphomane…
    Vient ensuite le temps où l’on se penche ensemble sur l’objet du délit, ce qui rapproche (physiquement) et éloigne (intellectuellement). Comme l’éditeur est, aussi, un écrivain considérable du genre qui n’écrira jamais, on se doit de perpétuellement l’approuver si l’on ne veut pas risquer de voir les choses se gâter et son avance revue à la baisse ; à moins que l’on ne choisisse de lui soumettre un manuscrit volontairement truffé de barbarismes dont il se fera gloire de débusquer un bon tiers.
    On peut déduire de ce qui précède la règle d’or à ne jamais transgresser : l’éditeur a toujours raison. La preuve : il se trompe régulièrement, ce qui lui donne la légitimité incontestable que confère toute autorité exercée autoritairement.
    Pour clore les débats et couronner le tout, deux ans plus tard, l’écrivain reçoit le relevé de ses droits. Il est alors temps pour lui de se mettre à la recherche de la perle rare : un éditeur encore moins sympa que le précédent.
    J’en suis là. Bien décidé à mordiller la main qui me nourrit (chichement).