Frédéric Roux

Expos 92

Incipit & more

Pavillon du préambule

Il semble paradoxal (n’en avons nous pas bouffé du paradoxe, et à toutes les sauces y compris les moins paradoxales, ces dernières années !) que le texte (car il s’agit bien d’un seul texte écrit par une seule personne) dont la thèse centrale est que le sujet doit être restauré, que ce dont il souffre aussi bien mentalement que physiquement (je n’ai jamais compris la différence) c’est l’impossibilité de fonder sa souveraineté, que ce dont on le prive, c’est de concevoir le monde comme un tout, serait-il incertain, se présente comme une succession de textes fragmentaires, dont certains emploient les procédés les plus usés qu’il soit (avec une mention particulière pour les « Je me souviens » dont je rappelerai au passage que l’initiatitve en revient à Joe Brainard et non à Georges Perec comme celui-ci l’avait, d’ailleurs, signalé.
   Il y va de ma part : d’une certaine gêne à parler d’une voix, de la constatation navrée que nos contemporains ont du mal à fixer leur attention sur un texte d’une longueur supérieure à un article de Libération, d’un souci donc pédagogique, mais aussi, le plus dialectiquemet possible, d’une volonté à obliger cette attention à se fixer plus que de coutume, de la contraindre à retrouver les différents passages d’un texte à un autre, reconstituer l’itinéraire prudent parfois, rapide quelquefois d’une pensée critique qui s’exerce suivant plusiers angles, de l’aigu à l’obtus, des modes différents et un style changeant.
   Je n’ai pas, non plus, pour être franc, résisté au plaisir, il est vrai, futile de voir s’ouvrir une : « Pavillon de la Chanson » dont l’homophonie lointaine avec le groupe qui a bercé « Mes jeunes années » me réjouit fort.
   J’aurais beau jeu, dans ces conditions, de parler de complexité, si des discours d’une pauvreté aussi affligeante que ceux de Philippe Thomas ne se présentaient pas sous l’autorité de ce vocable. lorsque certains utilisent les mots à contresens, il n’est plus moyen, pour ceux qui les utilisent dans leur sens véritable de le faire entendre clairement. J’utiliserai donc le mot : « complication » qui n’est pas utilisé par des imbéciles, alors même que « complexité » est plus juste. Ainsi donc désormais, par veulerie intellectuelle, l’alphabet est complexe et Nabokov compliqué. Toute révérence gardée.
   Compliqué ce texte, parce qu’il nous est de plus en plus difficile dans un monde où l’information métastase, celles qui ont une importance réelle ; que non seulement le Pouvoir a tout intérêt à nous les dissimuler mais qu’il les ignore lui même et, parce que, faute de temps, sans doute, de talent aussi, je l’ai voulu ainsi.
   Autant la lecture d’un magazine ne requiert qu’une attention flottante, plus proche, de jour en jour, de ce que demande la contemplation d’une émission télévisée de grande écoute ; soit la lucidité approximative qu’un consommateur régulier de culture de masse et de Temesta à dose raisonnable est capable de consentir, autant il y a dans la (dé)construction de ce texte, matière à énigmes, à références dissimulées, à correspondances secrètes.
   Il est à souhaiter que ceux qui sont encore capables d’en apprécier l’astuce s’en réjouiront et que les autres ne s’en sentiront pas obligatoirement exclus.
   En ce qui me concerne, il m’a semblé assez réjouissant aussi de renouer avec une veine que j’avais inaugurée littérairement en 1978 avec « Trompe l’œil », mon premier manuscrit qui reste encore, hélas ! inédit.

Ce livre est ma participation à « Aux frais de la Princesse » (le titre est de Ben), une « opération »

initiée par Norbert Duffort (à l’époque directeur de l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille).

Elle réunissait : moi-même, Ben, Frédéric Valabrègue, François Lagarde et quelques étudiants

« autour » de l’Exposition universelle de Séville et de la Dokumenta de Kassel.

Résultat final : une expo où l’on distribuait gratuitement une poche avec un T-shirt de Ben, un texte de Valabrègue,

une planche de diapos de Lagarde, une cassette vidéo des étudiants et mon livre et pas mal d’argent gaspillé

(Pierre-Jean Galdin était de la partie) ce qui vaudra quelques ennuis à Norbert Duffort.
Expos 92 (qui devait s’appeler BabelOne) est quasiment introuvable

(sinon chez Florence Lœwy : www.florenceloewy.com, au prix de 20 euros)
En tous les cas, Trompe l’œil a fini par être publié par le Mamco de Genève

(quatorze ans plus tard, j’ai plus d’obstination que de talent) sous le titre Copié/Collé.