Frédéric Roux

Hyperman

Incipit & more

Le problème avec les dictatures n’est pas tant le but qu’elles poursuivent, mais la manière employée. Trop expéditive, trop brutale, voulant à toute force faire coïncider ce qui doit être et ce qui est. Résultat des courses, lorsque l’on confond l’idéologie et le réel, que l’on ne tient compte ni de l’économie ni des mœurs : des dépenses en hommes et en matériel entraînant l’implosion ou l’explosion du système, sur un mode de préférence apocalyptique.
    Avec un peu de patience, mais les dictateurs, souvent sanguins, en sont dépourvus, elles auraient obtenu de bien meilleurs résultats, à l’image de la démocratie qui a réalisé le communisme partout où règnent les « conditions modernes de la représentation ». Entendons-nous bien, un communisme médiocre puisque privé d’utopie, le « communisme Labiche » avec pavillon et jardin cessible par héritage, celui dont Louis-Ferdinand Céline menaçait les Français depuis les collines de Meudon. Aujourd’hui que le capitalisme a triomphé, que le progrès règne, chacun peut partager les mêmes rêves  et acquérir en toute liberté, à crédit de préférence, les mêmes marchandises.
    Il n’est rien de plus uniforme que nos paysages, et nos villes sont toutes semblables.
    Ce que la brutalité n’a pu obtenir : la fin de l’histoire, l’abolition de la géographie et l’avènement du surhomme, la démocratie le réalise avec l’assentiment de tous puisque personne ne peut envisager autre chose et que même ses plus féroces opposants ont renoncé à tout, sauf à se soumettre.
    Les moyens employés par l’hyperdémocratie  pour tout contrôler et tout soumettre ne sont pas seulement politiques, ils ont, surtout, à voir avec la science et les technologies. Si certains peuvent encore envisager un changement politique, personne n’envisagerait avec quelque sérieux la contestation du bien-fondé de la science et de la technologie ni la remise en question des résultats obtenus. Quelques rares humanistes rétrogrades se préoccupent, mais plus pour très longtemps, de leur examen. Sans succès, puisque rien ne peut être opposé au réel, la réalité le démontre chaque jour. Que ceux qui énoncent quelques objections soient, pour la plupart, des non-scientifiques ne les rend pas, on le comprend, plus légitimes ; il est aisé d’ignorer leurs objections au nom de leur ignorance.
    Chacun a la conscience confuse que le (personnel) politique ne gouverne plus le monde  et pense qu’il est dirigé par un ensemble vague qui regroupe spéculateurs, compradores, capitaines d’industrie et actionnaires de fonds de pension.
    Les élites, soumises à la versatilité des consommateurs et de l’opinion, se plaignant pour leur part de ne plus rien dominer.
    Il serait, en l’occurrence, plus pertinent d’envisager l’hypothèse selon laquelle les scientifiques gouvernent le monde, sans le revendiquer ni en avoir conscience ; peut-être, et c’est pire, sans le faire vraiment exprès. La communauté scientifique ne se voit pas comme une classe sociale, elle n’en est, à vrai dire, pas une, pas même une élite ; elle gouverne le monde dans la seule mesure où elle crée ses conditions d’existence et que personne ne peut s’y opposer sans se voir reprocher d’entraver le progrès qui est bon par nature, ou qualifié de tenant de la réaction  qui est mauvaise par essence.
    C’est pourtant la science et la technique, davantage que l’idéologie d’un progrès sans horizon puisque sans perspective, qui ont obtenu l’uniformité moderne des désirs et des réalités. Uniformité et non pas égalité. Le temps des différences ne reviendra plus, la nostalgie d’un paradis perdu est rangée au rayon des accessoires pour dépliants touristiques.
    Je laisse aux intéressés et aux spécialistes mieux armés que moi pour ce faire le soin de prolonger cette thèse qui ne semblera une provocation qu’aux innocents ou à ceux qui ont encore quelque intérêt à dissimuler cet état de fait.
    Je ne suis ni inconscient ni naïf, il existe encore des progrès à faire au Progrès, certains, semble-t-il, en seront toujours exclus et vivront encore au sein du post-capitalisme les conditions d’un pré-capitalisme et d’autres subiront les inconvénients de l’hypertechnique au sein de régimes où le capitalisme est moins évolué que celui de nos contrées. Il faut envisager une barbarie universelle avec des nuances folkloriques.
    Je me contente seulement dans les quelques pages qui suivent de (dé)montrer que les conditions pour la venue d’un homme nouveau sont désormais réunies, un surhomme tel que le rêvaient les totalitarismes, et que le sport sert de terrain d’expérimentation à cette nouvelle condition humaine qui verra la fin de l’humanité ancienne et dont l’(in ?)humanité future se souviendra sans aucun regret.

    Suite à la parution d’une critique d’Hyperman dans Sport et Vie par Jean-Pierre de Mondenard,
j’ai envoyé le courrier suivant à cette revue qui l’a publié dans son dernier numéro
(si l’on excepte les deux phrases suivantes : « Pire, je crains fort que Jean-Pierre de Mondenard n’ait RIEN compris à ce que j’ai écrit » ; « Dommage ! »
 Tout le monde n’est pas Wilander !
Pour avoir une idée plus précise de ma position à propos du dopage, on peut consulter (in Sport, rubrique Généralités) :
Le doping est l’avenir du sport ; Le dopé est l’avenir  de l’humanité et Qu’on leur foute la paix !

Le docteur Jean-Pierre de Mondenard me reproche d’écrire des inepties. Soit ! Surtout lorsque je me mêle de médecine, dont il est spécialiste. Soit !
    Pour prouver ma nullité crasse en ce domaine où il excelle (à tel point qu’il en est le Pape), il cite trois inepties de mon fait qui n’ont, bizarrement, rien à voir avec la médecine, et tout avec une étourderie coupable dont je m’excuse.
    Pour discréditer ce que j’avance (qui restera pour toujours camouflé aux lecteurs de Sport et Vie), Jean-Pierre de Mondenard me cite fautivement  « irrégularités » au lieu d’ « inégalités »), pinaille sur des détails sans aucune importance, prend au sérieux ce qui est du domaine de l’ironie, isole les phrases de leur contexte pour leur faire dire le contraire de ce qu’elles signifient, etc.
    S’ils ne font guère illusion, tous ces procédés sont de bonne guerre lorsque l’on ne veut pas discuter du fond, ou que l’on n’en a pas les moyens.
    Comment Jean-Pierre de Mondenard peut-il me ranger sous la bannière des partisans du dopage, alors que j’expose clairement ses effets néfastes, sans faire un grossier amalgame ? Nul doute qu’il aurait pensé que Jonathan Swift, auteur de « Modeste proposition pour empêcher les enfants des pauvres d’Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays et pour les rendre utiles au public », voulait réellement que les bébés irlandais « rôtis, bouillis ou braisés » soient vendus aux Anglais pour qu’ils les mangent.
    En gros et en détail, Jean-Pierre de Mondenard déteste Hyperman (et son auteur un peu), ce qui est son droit absolu et ne me dérange pas outre mesure ; il le fait sans avancer d’argument, ce que je déplore.
    Je crains fort que, comme l’a écrit T. W. Adorno (philosophe allemand de son état) à propos du fascisme, le dopage se compose de deux choses : le dopage proprement dit ET l’anti-dopage. Le dopage ayant bien sûr gagné (vu les intérêts qui le soutiennent, on s’en doutait un peu) puisque l’anti-dopage parle d’ores et déjà son langage.
    Pire, je crains fort que Jean-Pierre de Mondenard n’ait RIEN compris à ce que j’ai écrit.
    Dommage !

    Considérer le dopage hors d’une réflexion globale ou le condamner au nom de la morale (« C’est mal », « C’est tricher ») ou de la prophylaxie (« C’est mauvais pour la santé ») me semble stupide et inefficace.
    Je considère pour ma part le dopage comme l’un des nombreux éléments constitutifs du meilleur des mondes qui vient, celui où nous aurons besoin d’une « morale génétiquement modifiée ».
    En conclusion d’Hyperman, à propos de ce que l’hyper-démocratie nous prépare, je parle d’« Un Disneyland gore », d’« un Auschwitz fun ». Jean-Pierre de Mondenard pense-t-il sérieusement que c’est le genre d’utopie dont je suis partisan ? Et que c’est en rappelant que le Finastéride est du genre masculin qu’on va l’empêcher de survenir ? 

PS : François Bourin, directeur des éditions Bourin (« les bien nommées »), a beaucoup apprécié la plaisanterie à propos de son patronyme. On ne la lui avait pas servie depuis le cours élémentaire deuxième année… ça le rajeunit !